Côté court 2014 : Luc Moullet - rencontre avec un fraudeur frondeur
Entretien avec l'ironiste professionnel, arrangeur de films à bouts de ficelles, qui présente à Pantin son dernier1
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Paul Braud, pilote de rallye, se lance avec sa nouvelle copilote sur la difficile D17. C'est la guerre du Golfe et le printemps : tout le monde est énervé...
Dans une région isolée des Alpes-de-Haute-Provence, en pleine guerre du Golfe, un champion de rallyes automobiles et sa copilote débutante entament la reconnaissance d'un prochain circuit et croisent sur leur route le constructeur du véhicule, un groupe de militaires avec un sergent-chef faisant une psychose au sujet de Saddam Hussein, un éleveur au bord de la ruine, un géologue absorbé par ses recherches, un astrophysicien cantonné dans un observatoire juché sur une montagne, qui rêve de séduire sa collègue, laquelle n'a d'yeux que pour le berger vivant en contrebas, et une équipe de cinéma en rupture de tournage.
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" Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? Un documentaire sur la départementale 17 ? Une fantaisie picaresque ? Un film fantastique loufoque
" Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? Un documentaire sur la départementale 17 ? Une fantaisie picaresque ? Un film fantastique loufoque ? Un remake croisé de Où est passée la 7e compagnie ? et de The Lost Patrol ? Un Mocky rural ? Du Biette déjanté ? Du Rozier laconique ? Une diatribe laconique contre le sport automobile ? Ben… un peu tout ça à la fois.
Cinéaste (pas assez) connu pour ses démonstrations ludico-analytiques (Genèse d’un repas, Anatomie d’un rapport), pour sa relecture minimale des grands genres américains (Une aventure de Billy le Kid) et pour son humour aussi foutraque que pince-sans-rire (voir ses courts métrages), Luc Moullet réunit toutes ces qualités dans Les Naufragés de la D17, comédie absolument réjouissante encore que le terme de « comédie » soit presque trop réducteur pour ce film certes drôle, mais qui concrétise aussi une idée et une pratique du cinéma comme art de faire de grandes choses avec presque rien.
Les Naufragés de la D17 est de ces films impossibles à résumer (...) le film ressemble bientôt à la célèbre cabine de bateau des Marx Bros plus on est (de) fous, plus on rit. Moullet joue sur tous les registres comiques : le principe accumulatif et le bouchon toujours poussé un peu plus loin ; le comique troupier, avec la grotesque patrouille perdue ; le quiproquo, avec encore la soldatesque croyant intercepter des messages codés irakiens en pleine guerre du Golfe alors qu’il s’agit de simples communications civiles de portable à portable ; le décalage, avec l’apparition d’une dépanneuse tractée par deux vaches ; le contraste entre l’agitation citadine ou militaire et l’impavidité tranquille des paysans du coin, bref, la non-adéquation totale des biorythmes des locos et des locaux cohabitant pourtant dans le même espace.
Les relations entre les humains sont toutes décalées, déroutées, détournées, aboutissant à une espèce de chaos soft, de délire doux, à la lisière du fantastique. Les Naufragés de la D17 est donc un film très drôle, très surprenant, et aussi un film très beau.
Voir le tout début du film, enchaînant panoramiques, plans d’ensemble et cartes géographiques, tel un véritable et splendide documentaire topographique. Familier de cette région, Moullet en est fortement imprégné, et ça se sent dans ce film qui a le génie des lieux. Cette vallée des Alpes est en quelque sorte son Monument Valley à lui. D’ailleurs, les quelques scènes sur une équipe en train de tourner un western témoignent également de la beauté insolite du film : elles dévoilent des Indiens en train de lire Libération pendant la pause, des tuniques bleues au moment du rasage (gestuelle superbe accompagnant un majestueux travelling)… Référence à son propre Billy le Kid, ce western à l’arrêt est aussi une allégorie nostalgique d’un âge d’or hollywoodien disparu, filmé dans un décor naturel aussi sauvage et puissant que ceux des grands westerns classiques (...)
Au-delà de sa puissance comique, c’est aussi dans ces incertitudes fécondes, ces mélanges de contraires, que réside la beauté de ce film qui ne ressemble à nul autre. Il fait bon quitter les autoroutes du cinéma pour aller flâner sur ses départementales. "
" Le film commence comme un de ces documentaires à l'humour impavide dérivant vite vers une fiction sournoisement pédagogique dont Luc Moul
" Le film commence comme un de ces documentaires à l'humour impavide dérivant vite vers une fiction sournoisement pédagogique dont Luc Moullet s'est fait une spécialité. " Pas très loin de la Côte d'Azur, dit une voix off (la sienne, mais qui pourrait être celle d'un guide de syndicat d'initiatives) se trouve une région insolite, le bloc de Majastres. Le bruit des autos y est plus rare que celui des avions. " Sur quoi, aussi sec, se fait entendre le hurlement d'un moteur de voiture de rallye dont les roues patinent dans les graviers d'un virage en épingle à cheveux, sur une route inachevée, la D17.
Ce n'est qu'un début : au fil du film, sous le regard intrigué d'un cantonnier nonchalant et de son compère, retraité du village voisin, le nombre de ces voitures ne cessera de grandir. Jusqu'à nécessiter, à un carrefour de sentiers forestiers, la présence d'un agent de la circulation. Dans l'intervalle, on aura rencontré un astrophysicien jaloux, un berger priapique, une astrophysicienne qui aimerait bien que le berger, entre deux sauteries, ait le temps de s'intéresser à elle, un commando mené par un sergent-chef traquant les Irakiens infiltrés par Saddam Hussein sur le sol bas-alpin, un pilote de rallye et sa copilote, une équipe de tournage italienne d'un western-spaghetti. Si l'on ajoute à cet inventaire non exhaustif une paire de vaches dépanneuses, un Japonais trafiquant de drogue, un couple de fanatiques de la marche à pied, un chef d'entreprise franchissant un gué sur une chaise à porteurs faite de branches d'arbre rustiquement assemblées, on conviendra que cela fait pas mal de monde pour une région dont le commentaire du début précisait qu'elle ne comptait pas plus de cent habitants.
Bref, tout se passe comme si Luc Moullet, infatigable parcoureur de ces monts sauvages des Alpes-de-Haute-Provence qu'il chanta dès son second court métrage Terres noires (1961) et plus encore dans Une aventure de Billy The Kid (1971), western hexagonal comme on n'en avait plus tourné depuis Joe Hamman, s'était demandé comment faire entrer le maximum de personnages en un lieu réputé désertique. Et que cette intrigue tienne. Pari gagné avec panache.
D'abord parce que ce qui pourrait passer pour une succession de saynètes, le berger et ses amours, le sergent-chef et son front bas, etc., se noue en un scénario impeccablement tenu, où tous les éléments finissent par s'emboîter exactement, jusqu'à cette fin délirante (au sens propre, avec camisoles de force) où s'étreignent dans l'allégresse de la randonnée vers une montagne enfin escaladée des couples qui se cherchaient. Soit la rigueur qui ne craint pas de se faire passer pour de la nonchalance, ce qui est, il faut bien le dire, assez rare, le contraire se produisant plus souvent.
On pourrait n'aimer le film que pour cette accumulation jubilatoire. Cette sorte d'exhaustivité dans l'exploitation d'une situation (...) ceux qui auront avec ce film rencontré pour la première fois ce défricheur de voies nouvelles (en montagne comme en cinéma), ils auront sûrement envie de le lire pour mieux le connaître. " Il y a toujours dans mes films un travail, dit-il là, qui se veut exhaustif par rapport à un problème donné. Mais bien souvent, il s'agit d'une fausse exhaustivité et la plupart du temps d'une exhaustivité comique. D'ailleurs, pour montrer la vanité de l'exhaustivité et de l'objectivité apparente, j'introduis volontairement des erreurs. " Arrêtons là : on n'ira pas chercher des erreurs dans ces parcours montagnards, mais on s'attardera par contre sur la beauté de paysages que le cinéaste - et c'est tout son art - fait comme s'il les découvrait en même temps que celui à qui il les montre, le spectateur. D'où cette joie à les parcourir, en un panoramique qui prend le temps de tout voir, passant d'un vallon à un plateau, d'une montagne à un horizon perdu ouvrant sur le ciel.
Une joie jamais gratuite. Qu'ils servent à dire avec quelle impatience du corps une jeune femme surveille, de la hauteur où elle est, un berger à son pâturage ou qu'ils visent un effet comique lorsque le bidasse " télécommandé " dit ce qu'il lit de son chemin sur son ordinateur de campagne et que la caméra, en un suspens de coulée très doux, montre que ces panoramiques s'inscrivent dans la marche même du film. C'est, pour le cinéaste, sa façon même, pince sans rire, de se placer en face de ce - et de ceux - qu'il filme, comme pour bien montrer qu'il ne triche pas, qu'il ne fait rien d'autre qu'enregistrer le réel tel qu'il se présente à lui. Alors que, justement, il est en plein délire fictionnel, qu'il est dans un tout autre réel, celui qu'il invente d'un mouvement de caméra à l'autre.
Filmer l'absurde, la folie dans une belle simplicité d'écriture comme s'il n'y avait rien de plus normal au monde, est-il façon plus insolente - et plus hautainement belle - de dire que le monde dont il parle au moment (le temps de la guerre du Golfe) où il situe son film ne tourne pas tout à fait rond ?"
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