" Parce que la pornographie est le métier retrouvé de Jacques Laurent, Bonello a tenu à le filmer deux fois au travail, dirigeant des scènes de cul dont il ne nous est dignement rien épargné. Avec un naturel imperturbable, auquel Léaud infuse sa grande noblesse, il filme deux actrices (Ovidie, Ksandra) jouant à l'amour avec un (Titof) ou plusieurs hommes (Titof, HPG). Pour autant, ces deux scènes X, ces deux leçons de cinéma excitant, ne bousculent pas l'itinéraire du Pornographe. Elles surgissent naturellement dans ce grand fantasme qu'est le film. Ces deux scènes porno, brûlantes, impudiques, belles, rencontrent sur la route du scénario d'autres soeurs en voyeurisme avec qui rimer, soeurs inattendues puisque a priori non pornographiques, mais non moins impudiques, brûlantes, belles: deux scènes de danse solitaires, lascives et saoules; et deux extraits de films, la Comédie de Dieu de João Cesar Monteiro, le Maître du logis de Carl T. Dreyer. Ces trois paires de scènes associées, on aura compris que le sujet qui habite Bonello c'est le cinéma tout entier. Et qu'est-ce que l'histoire du cinéma sinon celle de quelques états du corps humain ?
Cela étonnera ceux qui ne soupçonnent pas une telle incandescence du cinéma moderne, mais c'est avec le cinéma de Duras, Eustache, Garrel, Vecchiali, que le Pornographe dresse des passerelles.
Cinéma de l'abandon, dont il reçoit l'héritage, et auquel on ne cesse de songer dès les premières images : ces parcs somptueux, peuplés d'arbres centenaires, ce Paris traversé de nuit, ces statues qui nous regardent, et ce Léaud minéral. Il est Antonin Artaud enfin réconcilié avec lui-même, tout en sérénité, le dernier acteur en somme, dont la présence chamanique renvoie immédiatement à sa propre histoire. Un Léaud maître du film, par le mystère entier de son corps «fatigué», mélancolique, traversé pourtant d'adolescence, portant Bonello vers l'angoisse qui le ceint : la filiation.
Car ce pornographe a un fils, qui est aussi blond pur que son père est gris de taches. Ce fils, Joseph (Jérémie Rénier, au potentiel d'un Denis Lavant), avait coupé avec ce père en découvrant son métier de pornographe. Joseph est venu maintenant lui pardonner ce mensonge par omission. Il devient, par ce geste, ce fils plus responsable que son père, éternel adolescent idéaliste.
«A quel moment un père devient-il le fils de son fils?», écrit Bonello en préface de son scénario. La réponse à cette question monstrueuse, pour ainsi dire grecque, est dans ce film sphinx, écrit à 27 ans, côté fils, avec Pasolini pour bagage: «L'Histoire, c'est la passion des fils qui voudraient comprendre les pères.» Quand Bonello tourne ce texte, l'automne dernier, il a désormais 33 ans, son regard a dévié vers le père, ses réponses se sont repliées. Lovées quelque part dans ces plans d'arbres impénétrables où bruisse l'entière élégance du Pornographe."
Philippe Azoury